La responsabilité du consultant et de la consultante

Je suis développeur, mais je me présente aussi en tant que consultant selon mon interlocuteur. Même quand mon rôle n’est pas consultant, mon métier de développeur comporte une importante part de conseil et d’accompagnement. Et si vous embauchez un ou une prestataire, il est fort possible que son intervention prenne la forme de conseil. Si vous demandez un audit de votre process, c’est du conseil. Un courtier en assurance, c’est du conseil. Demander à votre tante comment tailler vos plants de tomate, c’est du conseil.
Autant abuser tout de suite de l’effet Barnum et décréter que la plupart des professions qui vous demande d’interagir avec un client fait vaguement de vous un consultant. La multiplication des coachs professionnels en est un exemple flagrant.

Gerald M. Weinberg donne cette définition :

Le conseil est l’art d’influencer les gens à leur demande

Donc…

Un ou une consultante influence son client à sa demande

Donc dès l’instant où on vous demande de l’aide, du support ou encore un accompagnement, vous devenez un consultant. C’est donc extrêmement simple de le devenir. Mais comme toutes les choses simples, ça arrête vite de l’être.

Une précision sémantique

On pourrait d’ailleurs faire une petite parenthèse pour dire que pour ça comme pour le reste, on s’est planté. Le mot consultant désigne à la base la personne cherchant conseil, et non pas la personne qui donne conseil. Ca paraît bête, mais si on appelait ce métier “le donneur de leçon”, on serait pas forcément plus proche de la vérité, mais au moins on serait sémantiquement correct.

Le conseil, combattre l’irrationnalité

Obtenir de quelqu’un une demande de conseil est la partie la plus simple. N’importe qui peut y arriver. N’avez-vous pas rêver de ce beau métier, voyager en première classe en Europe pour réparer les problèmes de process et d’organisation de vos clients ? Atterrir, manger avec eux, comprendre leurs process, les analyser, leur dire que la qualité de code est pas assez bonne, ils décident de se mettre à faire de la qualité, ça résout leurs problèmes. Très vite les clients se bousculeront à votre porte pour obtenir vos précieux conseils sur les traces de vos premiers succès consultatifs, et tout ce beau monde enviera votre sagesse, se pâmera devant votre culture infinie et paiera votre tarif journalier exorbitant.

Ce qui vient en réalité ensuite est la partie où les cheveux tombent, les burn-outs se créent et les réunions s’éternisent.

Car face à votre mission se dresse très vite l’adversité de vos interlocuteurs, l’inertie de la société, et la rigidité des process. C’est tout à fait irrationnel, pourquoi demander de l’aide si nous ne sommes pas capables de changer ? Pourquoi demander de l’aide si c’est pour inviter l’aide extérieure gracieusement payée par notre directeur à aller voir ailleurs si j’y suis ?

Fabien mon bon Fabien, pourquoi cette irrationnalité alors ?

Voilà mon opinion sur le sujet, elle est à prendre avec une brouette de sel.

Tous les problèmes sont humains

Et comme les problèmes tirent leurs origines de problèmes humains, rentrent en compte nos biais, nos connaissances, nos egos et surtout, surtout, nos émotions. Un consultant étranger à ce concept aura donc un mal fou à comprendre pourquoi son client a par le passé fait tel ou tel choix, son comportement paraîtra donc irrationnel.

Donc le conseil ne sert à rien ?

Faux.

Parce qu’un appel à l’aide permet au moins de s’ouvrir à une aide extérieure.
Gerald Weinberg a écrit :

La plupart du temps, dans la plupart des cas, et peu importe l’effort fourni, rien d’important ne change

Cette triste loi nous dit donc que peu importent vos efforts, peu importent vos compétences, il est très probable que vous ne changiez rien d’important chez votre client.

Mais cette loi ne dit pas que rien n’arrive jamais. C’est simplement que “most of the time, nothing happens”. Nous avons donc un corollaire qui nous tend les bras.

Parfois quelque chose d’important peut changer, généralement sans avoir fait de gros efforts

Effectivement, de temps en temps, un consultant ou une consultante peut effectivement changer les choses de manière importante. Et c’est à ce moment là qu’il faut songer à notre éthique, notre responsabilité.

L’éthique du conseil

L’individu qui prodigue conseil a donc un grand pouvoir. Le pouvoir de changer les choses durablement.
Et si vous pensez qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, ben vous vous trompez (et tant pis pour Spider-man).
Un grand pouvoir implique rarement une grande responsabilité, car il faut pour cela être tout d’abord conscient de son pouvoir. Ensuite, l’implication n’est pas nécessaire, le monde de Marvel est rempli de personnages tout-puissants mais n’ayant pas de responsabilités. Notre monde réel est littéralement rempli de personnes ayant un grand pouvoir (législatif, économique, politique) mais n’assumant aucune responsabilité de leurs actes.

Le principal attribut des consultants, c’est qu’ils n’assument pas les responsabilités des conséquences des choix et des décisions qui sont prises en leurs noms. Que ces choix viennent des consultants ou qu’ils émanent d’un blanc-seing pour la direction, aucune responsabilité ne sera prise par le consultant.

C’est pour ça qu’il est important pour notre métier d’être d’abord conscient du pouvoir qui nous est accordé, du privilège qu’on a de pouvoir être entendu et écouté, et d’agir de manière responsable. C’est facile d’être sûr de ses décisions quand elles n’impliquent pas notre argent, notre entreprise, notre quotidien. Et c’est facile d’oublier qu’en face, des équipes vont devoir maintenir et vivre avec le résultat de votre étude.

Donc prenez vos responsabilités et armez-vous de courage, si ce n’est pas pour le bien de votre client et même s’il vous le demande, refusez de lui faire un blanc-seing. Et surtout, ne l’emmenez pas vers une solution qui n’est pas la bonne pour lui parce que c’est celle que vous aimeriez voir, dépassez vos préjugés :

  • On peut bien travailler sans faire d’agile
  • On peut développer sans faire des microservices
  • On est pas obligé de mettre une file de message dans un système d’information
  • Une architecture organisée autour d’évènements est une merde incommensurable à maintenir, surtout surtout surtout ne conseillez pas à un client de faire ça, genre jamais
  • On a pas besoin de Kubernetes pour déployer une application

Et surtout, lisez Secrets of consulting de Gerald M. Weinberg : (lien amazon, désolé même Mollat a pas ce livre :( )

Written on March 4, 2019

Conseil Consultant Éthique