Je donne mon sperme

L’article est en deux partie :

  1. Une partie descriptive et pratique sur le don de sperme
  2. Une partie plutôt philosophique, qu’est-ce que ça veut dire donner son sperme à un centre de PMA ?

Comment ça se passe ?

Depuis début septembre je donne mon sperme au CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) de Bordeaux, à l’hôpital Pellegrin.

Qui peut donner son sperme ?

Tous les individus mâles entre 18 et 45 ans en bonne santé.
Il n’est plus nécessaire d’avoir fait preuve de sa fertilité (avoir eu des enfants), n’importe qui peut y aller.

En bonne santé, ça veut dire pas de MST/IST, pas d’hépatite, pas de maladie génétique.
Si vous êtes marié, il est nécessaire d’avoir l’accord de son ou sa conjointe.

Où aller ?

Au CECOS de votre région, qui se trouve dans le CHU du coin. Il faut les appeler pour prendre le premier rendez-vous.

Quelles sont les conditions ?

Le don est gratuit, mais l’hôpital peut vous rembourser le transport (train, parking).
Le don est volontaire.
Le don est essentiellement anonyme, mais l’enfant qui naitra pourra récupérer à ses 18 ans s’il en fait la demande le nom, prénom et l’âge du géniteur (notamment grâce aux actions des associations d’enfants nés de PMA, telles que pmanonyme).
Le don se fait à l’hôpital.
Il faut suivre un entretien de “motivation” et avoir un entretien avec un ou une psychologue pour être sûr de faire le don pour les bonnes raisons (j’y reviendrai).
Faire un don de sperme, c’est éjaculer et recueillir l’équivalent de 100 paillettes (une petite paille qui contient du sperme congelé). Il faut en moyenne 5 dons pour recueillir 100 paillettes.
Il faut en moyenne une dizaine de paillettes à un couple pour obtenir un enfant.
La limite légale est de 10 enfants obtenus par PMA pour un donneur.
Si les 10 enfants sont nés grâce à votre don, les paillettes restantes peuvent être redonnées à des laboratoires pour des essais.

Comment ça se passe ?

Ils demandent 3 à 6 jours d’abstinence avant le recueil.

On m’a amené dans une salle stérilisée d’hôpital (salle de recueil). Puis il faut faire dans un ordre très précis :

  • Descendre son pantalon
  • Nettoyer son gland avec un produit stérilisant
  • Rincer le gland
  • Laver ses mains consciencieusement
  • Ouvrir le tube qui servira de réceptacle
  • Se masturber (mais pour cause de COVID, pas de magazine pornographique ni quoi que ce soit)
  • Éjaculer dans la fiole, la reboucher
  • Se rhabiller et appeler l’infirmière

Pourquoi j’en parle

Les parcours PMA aboutissent à plus de 3,5% des enfants nés en France (25 000). Il y a toujours eu besoin de dons de sperme pour des parcours de PMA avec des hommes stériles, mais ça représentait une minorité des parcours PMA (700 sur 25 000). La plupart des couples qui font le parcours PMA se contentent de faire une FIV et de faire des stimulations ovariennes, ou par sélection de sperme (avec une sélection magnétique, on est capable d’écarter les spermatozoïdes en état de mort embryonnaire, donc on peut demander à un futur papa de donner 5 ou 10 éjaculats, puis de filtrer les meilleurs, pour être sûr de réussir la FIV).

Comme un donneur de sperme suffit à fournir assez pour 10 enfants, un CECOS n’a besoin que d’une poignée de donneurs par an. Or la situation est très spéciale en ce moment dans les CECOS.

La levée de l’anonymat

Avant septembre 2021, les dons étaient purement anonymes, et ils ne le sont plus vraiment, les enfants peuvent récupérer ces informations relatives à leur géniteur à leurs 18 ans. Cette levée d’anonymat a pour effet (prévu, car la situation s’est déjà passée en Suède notamment) de diminuer sensiblement les dons de sperme.

Le COVID

Depuis Mars 2020, les dons ont été arrêtés temporairement (on ne savait pas si le COVID pouvait toucher les enfants, comment il se transmettait, etc.). Certains centres CECOS n’ont pas reçu un seul nouveau donneur depuis plus d’1 an et demi.

L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules

Depuis la loi pour la PMA pour toutes, les femmes seules et les femmes en couple pourront bénéficier d’un parcours de PMA en France. C’est un public qui logiquement aura systématiquement recours au don de sperme. D’après les estimations au doigt mouillé du biologiste que j’ai rencontré, les CECOS s’attendent à avoir une demande 2 à 3 fois plus élevée que les années précédentes.

Si j’ai bien compris, au CECOS de Bordeaux, aujourd’hui, on refuse de prendre des nouveaux couples par manque de sperme.

Au final

  • Les stocks de sperme sont très bas
  • La demande en sperme va augmenter
  • Les dons vont baisser

La situation est donc difficile, et les CECOS craignent de ne plus pouvoir accomplir leur mission.

Pour une ressource que j’ai en quantité quasi-illimitée, et comme j’habite à une demi-heure du CHU de chez moi, je trouve ça vraiment dommage de ne pas partager.

Et la philosophie ?

Je l’ai dit, pour faire un don, il faut passer un entretien avec un ou une psychologue. Pour cet entretien, c’est mieux d’être bien préparé, donc voici quelques pistes de réflexion.

Qu’est-ce qu’un père ?

Il y a deux concepts qu’il est important de différencier.
Le géniteur, c’est celui qui a fourni le sperme, le parent biologique mâle.
Le père, c’est la figure paternelle, celui qui a élevé l’enfant.

L’acte de don de sperme fera de vous (si tout se passe bien) le géniteur d’au maximum 10 enfants (qu’on appelle la progéniture). Mais vous ne serez pas leur père. Le lien qui vous unira à eux sera purement mécanique, chimique. Il ne vous appartient pas de les élever, de les éduquer, ou de les protéger. Votre progéniture n’est pas vos enfants.

Personnellement, qu’est-ce que ça veut dire ?

J’ai souvent entendu “Mon enfant je l’ai tout de suite aimé”, “Je ferai tout pour protéger et aimer mon fils”, “J’ai pleuré de bonheur lors de la naissance” de la part de mamans et de papas.
C’est un sentiment que je n’ai jamais ressenti, cette sorte de pulsion biologique de protéger son enfant (c’est un peu la figure paternelle traditionnelle, celle qui punit et qui protège). Au contraire, je regardais circonspect mon enfant en me demandant pendant encore combien de temps il m’empêcherait de dormir. Pas d’amour fou, pas de déluge d’hormone, rien d’intense.
Évidemment même si je ne débordais pas d’amour, je faisais quand même toutes les tâches nécessaires à la survie de ma progéniture, mais je voyais ça comme un moyen de soutenir ma femme et de lui laisser le maximum de repos et le moins de charge mentale.

Puis quand la progéniture a grandi, les interactions se sont multipliées, la langue des signes puis le langage sont arrivées. Le temps passé avec la progéniture devenait de plus en plus agréable, les activités finissaient en éclats de rire, les sorties en tête-à-tête se ritualisaient. Le confinement est arrivé, et je passais la plus grande partie de mon temps libre avec elle, puis je l’aimais.

C’est ce qu’on a appelé la patrescence, la naissance du père, le moment où la figure paternelle remplace le géniteur. Ça n’est pas arrivé comme ça un mardi, c’est arrivé lentement. Comme une amitié profonde, un amour d’une vie, quand on a passé suffisamment de temps avec quelqu’un pour se connaître par cœur.

J’ai déjà entendu “tu as une relation fusionnelle avec ton enfant”, et je pense que c’est faux, comme le coup de foudre qui n’existe pas. Il faut savoir en tant que papa-débutant prendre son temps, apprendre à le connaître et le laisser lui aussi apprendre à nous connaître. C’était pour moi un processus long et fascinant.

La distinction est étant très claire pour moi. Les enfants nés de mon don de sperme ne sont pas mes enfants, c’est tout.

Et la levée de l’anonymat, ça signifie quoi ?

Ça veut dire que si l’un de ces 10 enfants le désire, il peut être amené à 18 ans à faire la demande à l’hôpital et récupérer votre nom, prénom et date de naissance.

Ça veut dire plusieurs choses :

  • Il sait qu’il est issu de PMA avec don de sperme ce qui n’est pas si courant
  • Il souffre d’un manque de figure paternelle et recherche des réponses en recherchant qui est son père, est-ce qu’il a des frères et sœurs
  • Ou bien l’enfant ne manque pas d’une figure paternelle, mais il ou elle est curieuse de savoir qui est son père, d’où il vient, etc.
  • puisqu’on a vu que la PMA allait être accessible aux femmes seules et aux couples homo, il possible que les enfants nés dans ces conditions sachent qu’ils sont issus d’une PMA avec don de sperme et peuvent rechercher leur géniteur

C’est-à-dire que si vous commencez ces démarches, il faut bien être sûr de savoir ce que signifie être père et être géniteur, mais surtout vous pouvez vous retrouver face à un jeune garçon ou une jeune fille de 18 ans un peu paumée qui serait en recherche d’une figure paternelle, de rencontrer vos enfants, de trouver des repères. Dans ce cas là, il faut être prêt à avoir une discussion un peu difficile, si la progéniture recherche un papa, ça ne peut pas être vous, c’est un problème qui doit se régler avec un ou une psychologue. Il est aussi possible que la jeune fille ou le jeune homme voulant vous rencontrer veuille simplement discuter de ses origines génétiques. Je préfère donc aider 10 femmes seules ou couples à enfin avoir un enfant avec l’éventualité d’une conversation difficile dans 20 ans.

Written on September 20, 2021

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